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40 ans de Light Cone / 15 octobre 2022

SOFT DREAMS : CARTE BLANCHE LIGHT CONE À FESTCURTASBH

Dans le cadre de sa 24ème édition, FestCurtasBH (Festival Internacional de Curtas de Belo Horizonte, Brésil) invite Light Cone à présenter une carte blanche avec des films de sa collection. Cette programmation, sur le thème du rêve, a été conçue par Emmanuel Lefrant et se compose de deux séances qui auront lieu le samedi 15 et dimanche 16 octobre 2022.

Soft Dreams

Le rêveur, dans son sommeil, hallucine la réalité et désire la transformer comme le théorise Freud dans L’Interprétation des rêves (1909). Cependant, tout comme l'hallucination, le rêve ne semble pas avoir de destinataire. L'un et l'autre ne prennent place dans un récit que dans l’après-coup de leur production. Du rêve éveillé à la transe en passant par les expériences de mort imminente, les ivresses, l'orgasme ou les états méditatifs, ces « états modifiés de la conscience » font émerger un autre monde peu exploré mais d'une grande richesse. La psychiatrie moderne et la psychanalyse ont associé le rêve, la folie et la transe mystique à des phénomènes d’hystérie. Or, s’il faut refuser une telle réduction, l’on peut admettre que nous pénétrons là dans un monde « autre ». Les sociétés autochtones ont bien saisi cette « altérité » et cette étrangeté, en établissant un système de communication entre le monde d’ici-bas et le monde surnaturel, au sein desquels le rêveur, le fou et la personne en transe constituent des intermédiaires privilégiés. Nos sociétés modernes ont rompu ces relations et le surnaturel est ainsi partout rejeté au nom des exigences d’une raison scientifique. Cependant, le rêve, la folie et la transe continuent à nous interroger et permettent de rétablir la communication entre deux mondes, celui du conscient et de l'inconscient, ce que le cinéma - et notamment le cinéma expérimental - n'a pas manqué d'interroger.

Le rêve n'est cependant pas un phénomène spécifiquement humain. Les animaux rêvent aussi et la teneur de ces rêves, qui ne peuvent être racontés, en est d'autant plus mystérieuse. C'est ce que le corbeau incarné dans le film de Peter Conrad Beyer, Le rêve (2020) nous révèle. L'oiseau, dans une transe animale, se fond avec la nature et devient la nature elle-même, qui nous renvoie sa propre image et ses angoisses de fin du monde.

La raie, cet étrange animal venu des abysses, n'en est pas plus rassurante dans le film du duo d'artistes portugais João Maria Gusmão et Pedro Paiva. Dans Dream of the Ray Fish (2011), les cinéastes mettent en scène dans une de leurs « fictions poético-philosophiques » une raie dont l'image est renvoyée par un miroir rotatif, dans un geste qui illustre leur intérêt pour le paranormal, l'inexplicable et l'inconscient. En ralentissant la vitesse des images ou en jouant de superpositions, leurs films transforment des micro-événements en événements hypnotiques et envoûtants, créant des mondes extraordinaires qui ouvrent de nouvelles fenêtres sur nos observations quotidiennes. Leurs travaux s'inscrivent dans le cadre de leur recherche sur « l'Abissologie », un terme inventé par l'auteur français René Daumal, qui décrit la science des abysses, revisité dans ce programme par les cinéastes Christopher Becks et Emmanuel Lefrant dans I don't think I can See an Island (2016). Dans ce film, les cinéastes livrent une adaptation très libre du Mont Analogue (1952), roman qui a inspiré plusieurs générations d'artistes et de musiciens, de l'Europe jusqu'aux États-Unis. Le roman, aux accents pataphysiques, est une quête spirituelle dans laquelle la montagne devient le lieu où il est possible de communiquer avec l’au-delà. Cette montagne équilibre les masses montagneuses de l'hémisphère nord et semble correspondre à toutes les montagnes évoquées par les traditions et religions anciennes : le Sinaï, le Meru, l'Olympe, etc. À sa base, ils découvrent une société cosmopolite tout entière tournée vers l'escalade et dominée par les guides de haute montagne. Ils décident eux aussi d'entreprendre l'escalade. Le roman les abandonne en route vers l'ineffable, au milieu d'une phrase du cinquième chapitre.

Un au-delà qu'on retrouve à travers les pratiques - ancestrales mais aussi modernes - associées à la transe. Dans le film de Ben Russell Black And White Trypps Number Three (2007), nous observons un groupe de jeunes danseurs, à la lueur d'un spot lumineux braqué sur eux pendant un concert du groupe de noise-rock originaire du Rhode Island, Lightning Bolt. Le film « documente la transformation de l'extase collective d'un public en un rite de transe du plus haut niveau spirituel, (...) une danse qui se transforme en une forme d'extase séculaire » (Michael Sicinski). Ainsi en est-il dans Candomblé No Togo - Mãe De Santo Djatassi (1972) de José Agrippino de Paula, un des initiateurs du Tropicalisme, dans lequel le cinéaste brésilien remonte aux sources du candomblé pratiqué au Brésil, en allant filmer des cérémonies au Togo et au Dahomey. Dans les années 50, Maya Deren (qu'on retrouvera plus loin dans le programme) s'était déjà intéressée au vaudou, version haïtienne de ces rituels de transe africains.

Pour conclure ce premier programme, deux œuvres qui agencent des systèmes opérant la fabrication du rêve et sa reproduction, comme dans Dream Work (2001) de Peter Tscherkassky. Le film dure le temps d'une phase de sommeil profond et reconstruit un rêve explicitement érotique, très marqué ici par le « male gaze » (décrit par Laura Mulvey dans son essai Visual Pleasure and Narrative Cinema [1975]) du cinéaste autrichien. Les images du film, comme le décrit Bert Rebhandl, « tourbillonnent les unes autour des autres dans un maelstrom où la théorie classique de la psychanalyse sur le travail inconscient du conscient s'efface peu à peu pour faire place à une logique suprême du chaos neuronal, avant de se reconstituer en un métarêve que l'on pourrait qualifier, en paraphrasant Freud, de "représentation de l'image" ». Enfin, avec Dreamachine (2018) du cinéaste britannique Stanley Schtinter, nous revisitons l'œuvre éponyme de Brion Gysin (1960), connue comme étant la première œuvre de l'histoire qui se « regarde » les yeux fermés, une approche qui rappelle la théorie du closed-eye vision développée quelques années plus tard par Stan Brakhage dans son livre Metaphors on Vision (1963). La Dreamachine est un cylindre rotatif pourvu de fentes et d'une ampoule en son centre. La lumière émise par l'ampoule, tandis que le cylindre est en rotation, traverse les fentes à une fréquence particulière, ce qui procure des visions au spectateur, lorsque celui-ci ferme les yeux. Les impulsions lumineuses stimulent le nerf optique et modifient la fréquence des impulsions électriques du cerveau. Le spectateur, dans une expérience qui peut s'avérer très intense, voit apparaître des motifs de couleurs complexes, à la luminosité croissante, ainsi que des formes qui tourbillonnent. Une invitation à terminer la séance les paupières fermées, en ne se concentrant plus que sur les pulsations émises par l'écran...

Comment ne pas inclure dans une programmation de films expérimentaux portant sur le rêve l'incontournable Meshes of the Afternoon (1943) de l'iconique cinéaste américaine Maya Deren ? Dans le film, qui semble s'inspirer directement du Sang d'un poète (1930) de Jean Cocteau (bien que Maya Deren ait affirmé à plusieurs reprises n'avoir jamais vu le film), une jeune femme arrive chez elle et s'endort. Dans son rêve, elle se voit rentrer chez elle, torturée par la solitude et la frustration et se suicide impulsivement. L'histoire bascule quand il apparaît que l'imaginaire et le rêve se confondent avec le réel. Maya Deren a expliqué à propos de son film qu'il se concentre sur « les expériences intérieures d'un individu. Il n'enregistre pas un événement dont d'autres personnes pourraient être témoins. Il reproduit plutôt la manière dont le subconscient d'un individu va développer, interpréter et élaborer un incident apparemment simple et occasionnel en une expérience émotionnelle critique. »

« Breathe in, breathe out ». Soft Fiction (1979) de Chick Strand, commence par ces mots, comme pour inviter le spectateur à se laisser bercer par l'état extatique du rêve. Pourtant le film ne raconte pas des rêves en tant que tel, mais des récits, des souvenirs ou des traumatismes qui semblent s'apparenter, de par leur forme, au paradigme du rêve. La figure de Maya Deren hante d'ailleurs cette œuvre, via la présence d'Amy Halpern dans les quelques séquences qui ponctuent le film et séparent les récits les uns des autres, des scènes qui font explicitement référence à Meshes of the Afternoon. Quand Chick Strand réalise Soft Fiction, les États-Unis traverse la seconde vague du mouvement féministe. Le film bouscule, du fait de l'âpreté des récits qui y sont narrés, quand bien même la perspective féminine domine tout le film. Il donne à cinq femmes l'espace nécessaire pour, selon les mots de Chick Strand, effectuer « l'exorcisme d'une expérience ». La cinéaste a cependant toujours refusé l'étiquette de féministe, insistant sur le fait qu'elle ne s'intéressait pas à la politique mais plutôt à ses propres connexions intuitives et ses rapports passionnées avec les gens. Le film, qui mélange érotisme, intimité et poésie visuelle, baigné dans une atmosphère profondément onirique, est un hymne joyeux à la vie et aux femmes.

– Emmanuel Lefrant

SOFT DREAMS #1 : RÊVE, TRANSE ET HALLUCINATION

samedi 15 octobre 2022 à 17h00



LE RÊVE
de Peter-Conrad BEYER
2020 / DCP / coul-n&b / sonore / 8' 21
GETTING INTO BED + DREAM OF A RAY FISH + WAVE + WHEELS + THE HORSE OF THE PROPHET
de João Maria GUSMAO & Pedro PAIVA
2011 / 16mm / couleur / silencieux / 12' 52
I DON'T THINK I CAN SEE AN ISLAND
de Christopher BECKS & Emmanuel LEFRANT
2016 / 35mm / couleur / sonore / 4' 10
BLACK AND WHITE TRYPPS NUMBER THREE
de Ben RUSSELL
2007 / 35mm / couleur / sonore / 11' 30
CANDOMBLÉ NO TOGO - MÃE DE SANTO DJATASSI
de José AGRIPPINO DE PAULA
1972 / DCP / couleur / sonore / 20' 00
DREAM WORK
de Peter TSCHERKASSKY
2001 / 35mm / n&b / sonore / 11' 00
DREAMACHINE
de Stanley SCHTINTER
2018 / 35mm / couleur / sonore / 4' 33

SOFT DREAMS #2 : RÊVES ET RÉCITS

dimanche 16 octobre 2022 à 17h00



MESHES OF THE AFTERNOON
de Maya DEREN & Alexander HAMMID
1943 / 16mm / n&b / sonore / 14' 00
SOFT FICTION
de Chick STRAND
1979 / 16mm / n&b / sonore / 56' 00

PLUS D'INFORMATIONS

lieu FestCurtasBH - Belo Horizonte International Short Film Festival
Cine Humberto Mauro (Palácio das Artes/FCS) – Av. Afonso Pena, 1537
30120-010 Belo Horizonte, M.G.
Brésil
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