Maria Klonaris est décédée lundi 13 janvier 2014. Elle et Katerina Thomadaki ont réalisé depuis plus de quarante ans une œuvre cinématographique et plastique fascinante, aux confins du cinéma expérimental, de la performance corporelle, de l’installation, de l’art technologique.
Née en Egypte, en 1950, de parents grecs, tous deux médecins, Maria Klonaris a grandi dans l’Alexandrie cosmopolite des années cinquante. Après la crise de Suez, la famille déménage à Athènes. Maria Klonaris fait ses études secondaires à l’American College. Aux Beaux-Arts d’Athènes, elle se forme notamment à la scénographie et au décor de scène. Elle publie plusieurs albums de dessins et signe des affiches de théâtre, des couvertures et illustrations de livres. Elle commence sa collaboration artistique avec Katerina Thomadaki au moment où elles créent et dirigent le Théâtre des 4, la première comme scénographe, la seconde comme metteure en scène (Les Bonnes, 1968 ; Salomé, 1969).
A partir de leur installation à Paris en 1975, Klonaris forme avec Thomadaki une paire indissociable. Klonaris/Thomadaki conçoivent de vastes cycles qui courent sur plusieurs années et se développent dans plusieurs disciplines artistiques : Tétralogie corporelle, Cycle de l’Unheimlich (autour de l’« inquiétante étrangeté » du féminin), Cycle de l’Hermaphrodite, Rêve d’Electra, Série Portraits, Cycle de l’Ange, Désastres sublimes. Les Jumeaux... Avec ces figures récurrentes proprement hors normes, elles questionnent la frontière entre les sexes. Bien avant l’éclosion du mouvement « queer », l’œuvre de Klonaris/Thomadaki, nourrie de pensée critique (psychanalyse, philosophie, sociologie, pensée féministe...), se penche sur le genre et l’intersexualité.
Adolescente, Maria Klonaris découvrit la photographie clinique d’un.e hermaphrodite dans les archives de son père gynécologue obstétricien. Ce sera la figure génératrice de leur plus vaste cycle. Cette image de l’« ange » traverse en effet une série d’œuvres depuis 1985 : installations immersives, livre d’artistes, photographies, vidéos. Dans la vidéo Requiem pour le XXe siècle (1993), Klonaris/Thomadaki la juxtaposent à des images d’archives de la Seconde guerre mondiale, manifestant bien qu’à travers cette figure « marginale », il s’agit en fait d’interroger l’Humanité tout entière : « Conscience errante et immobile, face aux événements qui explosent devant son regard aboli, l’Ange devient tour à tour observateur, témoin, victime et juge, corps différent persécuté, savoir brûlé, corps irradié, scène de la mémoire. »
En combinant « cinéma élargi » et travail in-situ, Klonaris/Thomadaki développent des installations et des environnements de projection, souvent monumentaux, dans des musées ou des lieux désaffectés. Citons Mystère I : Hermaphrodite endormi/e (Paris, 1982), Le Rêve d’Electra (Villeneuve-Lès-Avignon, 1986), Night Show for Angel (Londres, 1992), XYXX : Mosaic Identity (Linz, 1994), Stranger than angel (Ljubljana, 2002).
La dimension politique du travail de Klonaris/Thomadaki est toujours conjointe à une force de révélation plastique. La philosophe Marie-José Mondzain a souligné chez elles l’alliance paradoxale d’une haute tradition de l’image sacrée, dont elles sont les héritières, et d’une pratique très novatrice des arts médiatiques.
Il serait stérile de chercher à démêler la part qui revient à chacune des deux artistes dans des créations qui résultent d’une élaboration commune, dans le secret de l’atelier. On peut en revanche se risquer à y reconnaître des traits de la personnalité artistique lumineuse de Maria Klonaris : un regard magnétique, des gestes qui tranchent.
En 2000, la Cinémathèque Française leur a consacré plusieurs programmes dans le cadre de la rétrospective « Jeune, dure et pure ! Une histoire du cinéma d'avant-garde et expérimental en France ». Par la suite, les Archives françaises du film du CNC et la Bibliothèque nationale de France ont travaillé avec les artistes à constituer leurs archives, fixées sur des supports fragiles, en un patrimoine durable. Restaurés sous leur direction, les films Selva (1981-83), Chutes. Désert. Syn (1983-85), Unheimlich 1 : dialogue secret (1977-79) ont fait l’admiration des spectateurs de plusieurs pays, hypnotisés par ces cérémonies secrètes où s’éveillent des puissances refoulées. Cette œuvre à deux têtes continue son parcours.
– Alain Carou (conservateur à la BnF, département de l’Audiovisuel)
SAURO BELLINI
1982 / Super 8mm / couleur / silencieux / simple écran / 13' 46 / 74 € distribution : Fichier sur serveur |
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FLASH PASSION
1970 / Super 8mm / couleur / silencieux / simple écran / 2' 12 / 26 € distribution : Fichier sur serveur |