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Hommage / 3 février 2022

« DOMMAGE QUE SOIT MORT UN TYPE COMME MOI ». DOMMAGE QUE SOIT MORT UN TYPE COMME LUI.

Eloge funèbre pour Paolo Gioli

Par Jean-Michel Bouhours

C’est en parlant de la mort, un thème si présent dans son travail que Paolo Gioli avait imaginé sa propre épitaphe ; une vanité au moyen de laquelle il voulait conjurer la menace ; c’était en 2014.

J’ai connu le travail de Paolo Gioli en 1974-75 alors que se développaient les premiers synthétiseurs d’images électroniques qui marquaient une véritable révolution dans la technologie des images. Paradoxalement le bruit courait que Paolo Gioli faisait ses films aux images composites complexes, sans aucune machine. La figure de l’alchimiste qu’on lui collait volontiers, signifiait qu’il y avait du mage ou de l’initié chez ce solitaire, un Robinson qui ne quittera jamais son île.

A la fin du XIXe siècle, Henry D. Thoreau écrivait : « Nous sommes devenus les outils de nos outils. Nous avons inventé un nombre impressionnant de machines et maintenant ce sont les machines qui nous réinventent. Ironiquement plus elles sont devenues sophistiquées, plus nous sommes devenus primitifs ». Marshall McLuhan définissant la machine comme l’extension perfectionnée de nos sens, précisait que la machine-prothèse, dans un même mouvement appauvrissait nos propres capacités naturelles.

C’est au sein de ce nœud anthropologique, que fait irruption Paolo Gioli. Sans doute voulait-il rester le plus indemne possible, demeurer cet homo naturalis qui, entouré de semblables atrophiés, était un démiurge capable de faire de la photographie et du cinéma à la main. L’homme sans caméra retournait à la source de l’intelligence primitive, aux origines de la nécessité d’invention de l’être humain face à la nature : sans doute y avait-il des intentions rousseauistes dans cette volonté de se désappareiller. La photographie, le cinéma avant d’être des mediums étaient pour Gioli des phénomènes naturels et lui un artiste-cueilleur qui, au gré d’une feuille, d’un coquillage, d’un papillon, de ses mains était capable de les piéger pour créer ces images aussi complexes qu’elles pouvaient être simples, images fragiles, tremblantes comme les êtres et toujours emplies d’une émotion indicible. Merci Paolo pour tout ce que tu nous as montré !