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Projection / 3 juin 2023

EXPÉRIMENTATIONS CHROMATIQUES : CARTE BLANCHE LIGHT CONE AU FESTIVAL (S8)

Dans le cadre de sa 14ème édition, le festival (S8) Mostra de Cinema Periférico (La Corogne, Espagne) invite Light Cone à présenter une carte blanche avec des films de sa collection.

Ce programme propose une sélection de films en 16mm issus de la collection de Light Cone. Le choix s’articule autour de la question de la couleur et vise à montrer comment certain-es cinéastes ont pensé la matière-couleur comme un élément crucial dans la composition de leurs films. La couleur est un élément qui a été travaillé de multiples façons au cours de l'histoire du cinéma expérimental : filmée directement par la caméra ou incorporée plus tard dans le film (peinture, collage, teinture), obtenue par des traitements en laboratoire ou par des systèmes optiques spécifiques. Plusieurs de ces procédés sont explorés dans ce programme : montage dans la caméra, pixilation, flicker, surimpression, utilisation de filtres, rotoscopie, tirage optique, solarisation, peinture sur pellicule ; autant de techniques par lesquelles la couleur émerge et devient un élément primordial. Cette séance ne cherche pas à retracer une histoire canonique des usages de la couleur, mais plutôt à célébrer certaines expérimentations chromatiques qui mettent en valeur la vivacité et les possibilités plastiques du cinéma argentique.

Le point de départ choisi est le cinéma d'animation d'avant-garde, représenté ici par l'une de ses figures majeures, Oskar Fischinger. En 1933, Fischinger commence à réaliser des films en couleur grâce au Gasparcolor, un procédé de séparation trichrome qui lui permet d'explorer la combinaison de formes abstraites de couleurs pures comme un équivalent visuel de la structure polyphonique en musique. Ces premières créations de visual music sont liées aux différentes théories qui, à partir du XVIIe siècle, ont proposé une analogie directe entre la gamme chromatique et l'harmonie musicale.

En tentant de définir son idée du film absolu, Fischinger critiquait le cinéma conventionnel conçu comme un simple « réalisme de surface photographiée en mouvement », dans lequel les images se limitent à une reproduction du monde visible. Dans les films présentés ici, l'inspiration fischingerienne promulgue et revendique une utilisation de la couleur éloignée de toute conception naturaliste de l'image, qui traverse différentes époques et tendances stylistiques.

Les recherches de Fischinger sur le mouvement, le rythme et l'harmonie des couleurs ont été essentielles pour les cinéastes d'animation des générations suivantes, tels que Jules Engel et Robert Breer. Dans Landscape, Engel compose son film image par image, créant une partition chromatique qui associe la peinture abstraite au flicker film minimaliste. Dans Trial Balloons, Breer utilise la rotoscopie pour combiner des prises de vue avec des séquences d'animation dans lesquelles il recrée et dilate les gestes et les mouvements filmés avec sa caméra.

De son côté, Françoise Thomas s'inspire des méthodes du cinéma d'animation pour relier ses plans à des motifs graphiques abstraits ; dans Grapholetti, elle refilme une série de plans en surimpressions successives, en les combinant avec des surfaces chromatiques, créant ainsi des variations poétiques autour du mystérieux portrait d'une femme souriant à la caméra. Cet exercice d'accumulation de couches de couleurs est également utilisé par Giovanna Puggioni dans Quattro stagioni, une méditation visuelle dans laquelle les surimpressions de rouge, de lumière dorée et d'espaces noirs fonctionnent comme les notes d'une partition.

Les correspondances entre musique et couleur sont explorées par yann beauvais dans Divers-épars, une sorte de journal filmé déconstruit basé sur une série de correspondances rythmiques entre les plans, renforcées par l'utilisation de filtres de couleur et associées à la musique d'Alban Berg. Si la gamme chromatique a souvent été liée à l'harmonie musicale, les études sur la couleur ont été associées à ce que l'on appelle, en psychologie, la synesthésie. Dès la fin du XIXe siècle, les recherches ont porté sur la manière dont la couleur en peinture est liée à la perception et affecte les sensations du spectateur.

Il existe un courant du cinéma expérimental qui porte un intérêt particulier à la matérialité du support et notamment à son association avec le toucher, que l'on a parfois appelé « cinéma haptique ». Dans Oblivion, Tom Chomont associe la perception du corps filmé à la sensualité palpable et tactile de ses images, en travaillant les plans par des altérations de la couleur (bi-packing, solarisation, saturation, etc.) qui font directement appel à nos sens. Barbara Hammer a également mis en pratique la représentation visuelle du toucher, notamment dans ses recherches sur la tireuse optique des années 1980. Dans Place Mattes, elle relie son propre corps à des plans de paysage, associés à des surfaces chromatiques presque abstraites (feu, glace) qui accentuent la relation entre le toucher et les effets optiques créés par l'utilisation de masques.

Dans leurs œuvres respectives, Marcelle Thirache et Caroline Avery ont exploré la matérialité du médium cinématographique et sa relation avec la peinture. Tourné en Super 8, caméra au poing, Palme d'or de Thirache célèbre la couleur conçue comme une simple fonction de la réfraction variable de la lumière blanche : les mouvements de la caméra inscrivent ainsi la lumière sur le celluloïd à la manière d'un pinceau se déplaçant sur une toile. Dans Midweekend, Avery recycle et décompose des images de found footage, éclipsant le mouvement et la continuité entre les plans figuratifs par la couleur peinte directement sur la pellicule. En examinant les principales caractéristiques de la couleur (luminosité, saturation, texture), ces films révèlent une visualité purement haptique qui invite notre regard à se déplacer sur la surface des images plutôt qu'à plonger dans leur profondeur illusoire.

Le dernier film du programme, défini par son auteur comme une expérience synesthésique, est réalisé à partir d'une série de traitements optiques et vidéographiques des images. Dans 98.3 KHz: Bridge at Electrical Storm, Al Razutis utilise des plans répétés d’une traversée de pont pour créer des variations chromatiques qui conduisent progressivement les images vers l'abstraction, voire vers leur propre destruction, par la désintégration chimique et la superposition de plans abstraits créés à l'aide d'un synthétiseur vidéo.

– Miguel Armas

EXPÉRIMENTATIONS CHROMATIQUES

samedi 03 juin 2023 à 17h00



KOMPOSITION IN BLAU
de Oskar FISCHINGER
1935 / 16mm / couleur / sonore / 4' 00
LANDSCAPE
de Jules ENGEL
1971-1978 / 16mm / couleur / sonore / 4' 00
TRIAL BALLOONS
de Robert BREER
1982 / 16mm / couleur / sonore / 6' 00
GRAPHOLETTI
de Françoise THOMAS
1991 / 16mm / couleur / sonore / 6' 00
QUATTRO STAGIONI
de Giovanna PUGGIONI
1999 / 16mm / couleur / silencieux / 3' 30
DIVERS-ÉPARS
de Yann BEAUVAIS
1987 / 16mm / couleur / sonore / 12' 00
OBLIVION
de Tom CHOMONT
1969 / 16mm / couleur / silencieux / 6' 00
PLACE MATTES
de Barbara HAMMER
1987 / 16mm / couleur / silencieux / 8' 00
PALME D'OR
de Marcelle THIRACHE
1993 / 16mm / couleur / silencieux / 4' 00
MIDWEEKEND
de Caroline AVERY
1986 / 16mm / couleur / silencieux / 8' 00
98.3 KHZ: BRIDGE AT ELECTRICAL STORM
de Al RAZUTIS
1967-1973 / 16mm / couleur / sonore / 11' 00

PLUS D'INFORMATIONS

lieu (S8) Mostra de Cinema Periférico
Sala (S8) Palexco – Mlle. de Trasatlánticos, s/n
15003 La Corogne
Espagne
lien en relation (S8) Mostra de Cinema Periférico
tarifs entrée libre dans la limite des places disponibles