by Jean LE GAC
1985 / color / sound / 1S / 6' 00 |
Comme je rendais visite à mon grand ami le peintre L..., je le surpris pendant sa sieste. En effet, après plusieurs expositions, il s'accordait un repos bien mérité. A son réveil, il me raconta :
- Il n'est pas si facile de se reposer de l'Art. J'ai selon la jolie formule «un atelier dans la tête.» Je viens de rêver d'un peintre.
Ce qui le décontenançait, c'était la froide précision avec laquelle il avait assisté à la genèse de l'oeuvre de l'autre.
Il reprit :
- C'était une commande très très officielle...
J'ai pensé ce qui va dominer dans cette affaire, c'est un sentiment de vanité chez le peintre. C'est à un pur problème de praticien que je fus convié.
Il apparaissait que pour le lieu de destination, - c'était une des centrales de l'Histoire et des symboles contemporains - toute oeuvre, et à plus forte raison celle d'un peintre «Story-Art» comme lui (mouvement pictural auquel il appartenait), risquait de se charger à son insu de significations qui l'écarteraient de l'Art.
Une première conclusion s'imposait: il lui fallait tenter une oeuvre dont le sens soit suspendu, qui résiste à l'érosion du sens, qui obtienne un équilibre, qui, au propre comme au figuré, défie le sens. Mais disant cela j'anticipe...
Chez mon peintre, plusieurs jours passèrent en passionnantes et pourtant vaines recherches. Comme il arrive dans les rêves, ce qui allait lui servir «d'incitateur iconique» se tenait dans un rapport modeste avec le palais du Gouverneur (l'oeuvre devait être placée dans un des salons privés).
Mon peintre se rappela alors ce bouquiniste du 5e arrondissement, à l'enseigne tutélaire de «L'Île mystérieuse», qui, pour un ouvrage ancien et remarquable d'E. A. Martel sur les merveilles géologiques des Causses, eut un jour un client de marque en la personne du futur gouverneur.
Mon ami fit une pause pour me faire remarquer que les rêves comme les oeuvres d'art architecturent de surprenantes métamorphoses à partir d'éléments résiduels du réel.
Il continua :
- Dans une splendide vision, je voyais à l'évidence tous les tenants et aboutissants de cette tentation du paysage pittoresque chez mon peintre.
Outre une autre temporalité, il me fit remarquer comment, des rochers immémoriaux à l'émergence de l'Histoire, on passait incidemment par l'histoire individuelle du peintre. Dans mon rêve le soubassement géologique du paysage se confondait à l'autre bout de la chaîne avec le fondement de sa vocation de peintre. En effet, des paysagistes, d'anonymes peintres du dimanche aperçus au détour d'un sentier, faisant et défaisant dans le même mouvement les masses colorées de leurs tableaux, avaient décidé du «je serai peintre« de son enfance. Inutile de dire que dans le vaste panorama de ses oeuvres passées, j'apercevais avec netteté celles qui annonçaient sa tentative d'aujourd'hui. Mes perceptions étaient si totales que dans un complet renversement de perspectives, je ressentais même dans les pastels secs qu'il écrasait sous ses doigts un peu de la poussière des fabuleux rochers qui l'inspiraient.
Il soupira... Pour réussir une telle oeuvre, cette «imminence d'une révélation qui ne se produit pas, et qui est peut-être le fait esthétique» selon Borges. Il faudrait être un peu plus et un peu moins qu'un peintre, il faudrait traiter les images et le texte, il faudrait que l'oeuvre recèle son propre fonctionnement.
distribution format | 16mm |
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screen | 1,37 - Standard (single screen) |
speed | 24 fps |
sound | optical sound |
original language | French |
rental fee | 26,00 € |