Une programmation de Christophe Bichon et Emmanuel Lefrant (Light Cone).
La photographie de Mark Cohen – instinctive, compulsive, souvent intrusive – crée une atmosphère intrigante, voire dérangeante. Images volées, corps fragmentés, un sens déroutant de la nature morte, au plus loin des clichés romantiques.
La technique de prise de vue de Mark Cohen, appareil "au poing", arpentant les rues à la recherche de sujets, rappelle, dans son immédiateté, le cinéma direct né en Amérique du Nord à la fin des années 50 (les cinéastes de l'Office national du film du Canada, D.A. Pennebaker, Frédérick Wiseman, etc.). Mais, contrairement à ces auteurs, sa photographie n'est en rien documentaire et révèle davantage une violence visuelle qui n'existe nulle part ailleurs, un sens de l'urgence inédit. Dans le champ du cinéma expérimental, la légèreté du dispositif (une simple caméra et un flash) et l'absence a priori de sujet prédéterminé (celui-ci se construit au fil des rencontres) évoque le cinéma de Jonas Mekas et la manière dont il a bâti l'ensemble de ses journaux filmés. Mais on ne retrouve pas chez l'auteur de Lost Lost Lost la même énergie ni la même brutalité. Et Mekas va s'efforcer de construire une certaine forme de dramaturgie, absente chez Cohen.
Les deux séances proposées ici s'attacheront à comprendre le mode opératoire du photographe américain, à travers le concept formel de la fragmentation, et le fil conducteur qui traverse son œuvre : quelle Amérique est ici photographiée ?
Une séance qui revêt la forme d'un voyage en Amérique, entre la côte Est (New York avec David Rimmer) et la côte Ouest (la Californie avec Bruce Baillie et Laida Lertxundi), en passant par l'état du New Jersey (Fern Silva) et l'Illinois (Deborah Stratman), avec des cinéastes tous américains, à l'exception de Laida Lertxundi, jeune cinéaste née à Bilbao mais exilée en Californie.
All My Life de Bruce Baillie, film présenté à Cannes à la Quinzaine des Réalisateurs en 1970, sera le premier film de la séance. Les films lyriques de Bruce Baillie – l'un des fondateurs de la Canyon Cinema à San Francisco - ont marqué l'histoire du cinéma expérimental depuis les années 60. Un panoramique sur une palissade dans un mouvement de caméra lent et continu qui glisse de l'horizontale à la verticale, s'élevant jusqu'au ciel, le temps pour Ella Fitzgerald de chanter All My Life. Dans les films de Laida Lertxundi, qui font quelquefois explicitement référence à ceux de Bruce Baillie, les personnages errent sans but, les mêmes scènes sont revues, recadrées, et son utilisation diégétique de la musique (la source sonore étant placée hors ou dans le cadre, mais jouée live, en même temps que la caméra tourne) déroute. Un sens du mystère, de l'incongru présent également chez Mark Cohen, offrant une vision de l'Amérique aux accents presque surréalistes. Au contraire, Real Italian Pizza (David Rimmer) et Spinners (Fern Silva) relèvent plus du film d'observation, rappelant les accents plus prosaïques de certaines images de Mark Cohen.
Les deux films qui clôturent le programme, Little Girl (Bruce Baillie) et In Order Not To Be Here (Deborah Stratman), créent tous les deux une atmosphère troublante, non sans rappeler l'univers du photographe. Dans le film de Stratman, entièrement filmé de nuit, la cinéaste montre en plans fixes des paysages de banlieue, des parkings vides, des Drive-Thru, des supermarchés 24/24, autant de zones qui apparaissent comme des lieux désertés mais en permanence surveillés. Une Amérique sécuritaire qui a peur d'elle-même.
ALL MY LIFE
by Bruce BAILLIE 1966 / 16mm / color / sound / 3' 00 |
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MY TEARS ARE DRY
by Laida LERTXUNDI 2009 / 16mm / color / sound / 4' 00 |
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SPINNERS
by Fern SILVA 2008 / Video / color / sound / 7' 00 |
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REAL ITALIAN PIZZA
by David RIMMER 1971 / 16mm / color / sound / 10' 00 |
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LITTLE GIRL
by Bruce BAILLIE 1966 / 16mm / color-b&w / silent / 9' 00 |
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IN ORDER NOT TO BE HERE
by Deborah STRATMAN 2002 / 16mm / color / sound / 33' 00 |
address |
Cinéma des cinéastes 7, avenue de Clichy 75017 Paris France |
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rates |
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