Scratch Focus est un espace de diffusion en ligne qui entend encourager l'exploration du catalogue de Light Cone, une collection en évolution permanente qui est composé aujourd'hui d'environ 5500 films. Chaque édition vous invite à découvrir l'œuvre d'un·e cinéaste de la collection sur notre site.
Caroline Avery est une cinéaste énigmatique dont l'importance dans le cinéma expérimental nord-américain est encore sous-évaluée. Dans les années 1980, elle était étudiante au Massachusetts College of Art (ou « MassArt »), la célèbre école de Boston qui rappelle à l'esprit les noms d’Ericka Beckman, Saul Levine, Luther Price et Phil Solomon, entre maints autres cinéastes et artistes. D'une grande richesse plastique, le travail de Caroline Avery explore de multiples procédés techniques (dessin et peinture sur film, expérimentations avec la tireuse optique, found footage, etc.) et mérite aujourd'hui, à notre avis, une plus grande diffusion.
Caroline Avery dans Note to Poli (1983) de Saul Levine
On peut établir des parallèles entre les techniques de montage rapide, de collage et de dessin sur pellicule utilisées par Avery dans certains de ses films en 16mm (comme Big Brother, 1983, ou Midweekend, 1986) et le travail de ses contemporains et amis de MassArt, comme Cécile Fontaine et Poli Marichal. Ce qui distingue le travail d'Avery, c’est son attention particulière à la nature éphémère des choses, et la façon dont elle explore – ou crée – des impressions et des gestes fugaces avec sa combinaison unique de ludisme et de rigueur.
DANCER FOR THE CORONATION
1988 / 16mm / couleur / silencieux / 8'
« Les ombres jumelles de la danse. Une danseuse se plie sur elle-même. »
– C.A.
READYMADES IN HADES
1986-1987 / 16mm / couleur / sonore / 7' 50
Readymades in Hades est peut-être le film qui illustre le mieux la sensibilité d'Avery. La caméra de la cinéaste y observe une petite fille en train de jouer dans un terrain abandonné et plein de déchets à Somerville, dans le Massachusetts. Seule parmi tous ces vestiges, ces « tendres petits témoignages du destin promis du temps qui s'élève et qui converge », selon les mots d'Avery, la jeune fille joue à organiser le chaos. Pour la cinéaste, ce film « est un témoignage de l’esprit d’une petite personne qui s’est créé un monde à partir d'un tas d’ordures dans l'arrière-cour. Elle fait la même chose que moi, j’avais espéré transmettre. »
On pourrait dire que quelque chose de similaire est en jeu lorsque Avery, dans Pilgrim's Progress (1985), travaille avec des fragments de la culture publicitaire – les déchets éphémères de son époque – pour créer des formes belles et vibrantes, des paysages étranges où l'on peut apercevoir une fraction occasionnelle d'un mot ou d'une image.
PILGRIM'S PROGRESS
1985 / 16mm / couleur / silencieux / 9'
« Un discours sur le marketing par l'image. La "surface" est un pot-pourri abstrait de rythmes multiples, d'images d'objets qui deviennent reconnaissables ici ou là. J'ai détaché l'encre des magazines avec du scotch et l'ai recollée sur de l'amorce puis j'ai refilmé le tout. C'est l'histoire qui montre comment on arrive à s'en sortir, ou comment on apprend à se détendre et à suspendre l'incrédulité. »
– C.A.
Dans ses films, Avery juxtapose souvent des formes et des couleurs picturales avec des morceaux de ce qui ressemble à des films éducatifs ou promotionnels mis au rebut (ou « films éphémères », comme les collectionneurs les appellent). À la frontière entre la figuration et l’abstraction, elle incite le spectateur à renoncer à la position analytique, en s'abandonnant au flux d’images – pour prendre un peu plus conscience des processus cognitifs que nous ne reconnaissons pas souvent, qui nous obligent à chercher des schémas dans tout ce que nous percevons. Comme elle le dit, « Nous sommes des chercheurs de schémas [patterns], des fabricants de schémas en général. Tout est, littéralement, dans votre tête. »
BIG BROTHER
1983 / 16mm / couleur / silencieux / 8'
« Une BD, un film collage. Les images proviennent de films publicitaires et de plans que j'ai tournés. Des fragments d'images ont été découpés et placés sur des photogrammes Super-8 eux-mêmes peints ; une bouche ici, une jambe là. »
– C.A.
THE LIVING ROCK
1989 / 16mm / couleur / silencieux / 9' 55
« Une déclaration adressée au cerveau limbique sur les formes de communication secondaire, développées au fil du temps afin de compenser le déni culturel des signaux primaires, ce qui crée une boucle de rétroaction, où le secondaire ne répond qu’au secondaire en laissant de côté le primaire. Il s’agit d’une mise en garde. »
– C.A.
Light Cone distribue les films de Caroline Avery, ils sont consultables ici.
Nous remercions à Caroline d'avoir répondu à nos questions par email.
Éditions précédentes de Scratch Focus :
CENTRES DE GRAVITÉ : LES FILMS DE TONY HILL
CINQ FILMS DE LARRY GOTTHEIM
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