Après la projection Scratch Agir le cinéma du 7 décembre 2021 et à l'occasion de la parution de Agir le cinéma – Écrits sur le cinéma expérimental (1979-2020), anthologie de textes de yann beauvais éditée par Antoine Idier et publiée par les Presses du Réel, nous avons souhaité explorer des œuvres plus récentes dans la filmographie de yann beauvais. En plus des films et des projets d’installation réalisés en format argentique (Super 8 et 16mm), il a, depuis les années 1990, expérimenté avec la vidéo de diverses manières : du tournage de journaux de voyage sur MiniDV (Shibuya, Volta ao longe, Sans titre Beijing, Kopru-Sokagi, Luchando, etc.) au recyclage d'images et de sons provenant d'Internet (Warongaza, D’un couvre-feu, Schismes, Basta), en passant par les différentes recherches sur les liens entre texte et image à l'aide de différents logiciels de montage (Still Life, Est absente, Hezraelah, P.A.C.I.F.I.C.A.Ç.Ã.O., co vid e, l’installation Tu, sempre, etc.) ; ainsi qu’au travail numérique d’images filmées en pellicule (Pan-Bagnat, Meeting Paul in Buffalo, Entre-deux-mondes).
Nous vous invitons à visionner trois films, qui seront disponibles sur cette page du 8 au 22 décembre 2021.
MEETING PAUL IN BUFFALO
1983-2010 / Super 8mm / couleur / sonore / 3' 20
« Une brève visite à Buffalo à l'occasion d'une projection de mes films invité par Paul Sharits. Quelques fragments. »
« J'ai rencontré Paul Sharits en 1980 lors du festival d'Hyères qui avait organisé cette année là une importante présentation de ses derniers films, inédits en France. S'ensuivit une amitié renforcée au fil du temps par de nombreuses rencontres ici ou là, à l'occasion de présentations diverses de nos films respectifs. (…) Lorsqu'en 1975, j'ai découvert à la faveur de l'exposition Une histoire du cinéma, les films de Paul Sharits, ce fut un choc esthétique intense, partagé, je crois, par de nombreux jeunes cinéastes de ma génération. (…) Paul Sharits a fait preuve d'un talent de "coloriste" hors du commun. Il a permis à la couleur de se dire selon des harmoniques et des rythmes jusqu'alors inexploités. Au moyen du flicker (clignotement, scintillement) il a composé des accords temporels de couleurs qui, à la manière des monochromes d'Yves Klein, ouvrent des espaces et des volumes inédits proches du all over. (…)
Partition de Declarative Mode 3A, Paul Sharits, 1976-1977
La violence des images, l'opposition entre la couleur pure et le photographique, le recours à des sons mis en boucles, l'utilisation des rayures et des brûlures, tout concourait à faire de ses films des œuvres inouïes pour l'amateur que j'étais alors. Ces films nous faisaient éprouver d'autres temporalités. Un espace spécifiquement cinématographique s'ouvrait, qu'une plus grande familiarité avec l'œuvre même n'a jamais démentie, mais au contraire renforcée. (…) Toute la vie de Paul Sharits est caractérisée par de profonds bouleversements, souvent violents, qui l'ont terriblement marqué autant physiquement que psychiquement et qui se retrouvent dans son travail cinématographique et pictural. Cette violence se caractérise autant par la manière d'aborder le support et sa fragilité extrinsèque, que par sa manière d'explorer les limites mêmes du cinéma. »
— yann beauvais, « Introduction à Paul Sharits », 2008
STILL LIFE
1997 / U-Matic / couleur / sonore / 12' 24
« Ce film fait se côtoyer plusieurs discours vis-à-vis du VIH / Sida. D'un côté des textes écrits en anglais et en français (qui traduit quoi) apparaissent à l'écran à des vitesses variables et selon plusieurs modalités rythmiques, de l'autre côté sur la bande-son : des voix d'hommes. Les discours et les expériences du Sida se croisent et font surgir par la fragmentation des modes d'énoncés qui articulent le politique au subjectif selon des modalités visuelles particulières. Le Sida n'a pas disparu avec la trithérapie. On le banalise pour mieux l'occulter. Ce film inscrit aux travers de confrontations, des ruptures dans notre appréhension du VIH et du Sida. »
« Le texte en tant qu'image est une question très intéressante pour l'image en mouvement depuis ses débuts. Il existe de nombreuses façons de traiter la question de la lecture dans une durée contrôlée par le créateur et non par le lecteur. La typographie est également importante, l'emplacement sur la surface de l'écran ou dans son espace. Elle véhicule de nombreux enjeux formels et idéologiques, filmiques, tout autant que son contenu nous conduit à d'autres significations. C'est pourquoi l'utilisation du texte privilégie souvent le domaine de la poésie et du jeu de mots (voir Marcel Duchamp, Man Ray, Jennifer Burford), dans le cadre d'une prédilection pour l'autobiographique (Su Friedrich), et le réflexif (Hollis Frampton, Peter Rose) (…) Ces manières de faire ont été totalement renouvelées avec l'utilisation des ordinateurs et des logiciels de motion graphics. Quand je disais que Still Life était une sorte de cinétract, je faisais référence à l'utilisation du texte comme image, au sein de films politiques, de films militants qui traitent de la possibilité de transmettre un message à travers des formes dynamiques. Je pense ici aux travaux réalisés à la fin des années 20 par des artistes russes et des artistes liés au Bauhaus. Mais une autre source se trouve dans quelques films réalisés dans les années 60 pendant les différents soulèvements qui ont eu lieu dans le monde, et pour lesquels les cinéastes ont créé des formes qui sont liées au cinétract et qui anticipent le travail d'activisme vidéo réalisé au moment de la crise du Sida, quand il était important de transmettre un message à la population concernée, et surtout de contrecarrer la désinformation des médias concernant le VIH et le Sida. Still Life s'inscrit dans ce type d'activisme. »
— yann beauvais dans Elena Duque, « 40 years of Light Cone. Activating the cinema: interview with yann beauvais », 18 Festival de Sevilla (2021)
Tu, sempre de yann beauvais à l'espace EOF en 2008
« Les rythmes des clignotements, des couleurs, du défilement du texte ou de l’apparition des mots, des sons ou des paroles se renforcent ou se parasitent mutuellement, mais il n’est pas non plus de cadence effrénée : la violence est contenue et malgré tout une certaine sérénité se dégage. Si une confusion personnelle et globale est exprimée, les traitements divers du texte, de l’image et du son n’en constituent pas pour autant un vaste imbroglio audiovisuel. (…) Si l’on a évoqué Paul Sharits, c’était d’abord à propos de la violence, la violence d’une conjoncture et de la révolte qui est retransmise, mais cependant "organisée" à des fins expressives et émotionnelles. Ainsi Paul Sharits comme yann beauvais veulent affecter le spectateur mais non l’écraser (effet courant dans le journalisme audiovisuel ou le cinéma récent). Avec Paul Sharits, le cinéma expérimental le plus radical, rattaché au mouvement du cinéma dit "structurel", n’en demeurait pas moins un support d’expressivité et de subjectivité. En explorant des événements filmiques – son principal matériau -, il exprimait une émotion qui dépassait la seule problématique filmique (réflexivité), comme s’il condensait une question en son expression formelle la plus abstraite (mais en la travaillant sensiblement, en recourant ensuite à des stratégies d’organisation analogues au domaine musical). »
— Denis Chevalier, « Still Life », Le cinéma décadré : yann beauvais, éd. Trésor, Paris/Taipei, 1999
BASTA
2018 / HD / couleur / silencieux / 1' 25
« Cinétract. La question du droit à l'existence des palestiniens. Gaza, mars - avril 2018. »
« La lettre, le mot, la phrase n’ont pas le même impact, une fois projetés, à l’écran. Cet écart est l’un des plus singuliers traits du film, le cinéma convoque son élargissement, son dépassement. (…) On est pris dans une lecture qui est à la fois suspendue à l’organisation du texte qui ne répond plus aux critères usés et qui est aussi conditionné par la vitesse de son déroulement et de son apparition. Le contrôle est alors extérieur et il nous faut abandonner ainsi ce à quoi nous avons toujours d’une manière ou d’une autre cru : au pouvoir de communication des mots qui forment phrases. (…) La lettre, le mot n’ont plus alors d’espace et de comportement imprescriptible. Tout redevient possible. (...) La question de la lettre, du mot, est centrale dans mon travail. La première expérience cinématographique que j’ai faite consistait en la réduction d’une maîtrise de philosophie à quelques dessins de mot sur la pellicule et qui devait permettre de faire l’économie de la lecture du travail au profit d’une expérience cinématographique articulant ces concepts mêmes. »
— yann beauvais, « Du mot, de l'image du mot », 2006
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Light Cone distribue les films de yann beauvais, vous pouvez consulter la liste complète ici.
Éditions précédentes de Scratch Focus :
LIMITES DU SUPER 8 : ENTRETIEN AVEC PABLO MARÍN
RÉFLEXIONS SUR LE LYRISME MARCHAND :
UN ENTRETIEN AVEC ZACHARY EPCAR
LE CINÉMA POTENTIEL DE DAVID WHARRY
À LA RECHERCHE DE SCHÉMAS : LES FILMS DE CAROLINE AVERY
CENTRES DE GRAVITÉ : LES FILMS DE TONY HILL
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